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Compte rendu du livre :

Why history matters,

de John Tosh,

Palgrave (Macmillan), 2008.

      C'était il n'y a pas si longtemps. À Bassorah, au sud de l'Irak. Après une campagne éclair, les troupes britanniques prennent possession de la ville, puis se dirigent vers le nord jusqu'à la chute de Bagdad. L'intervention est justifiée par des arguments de sécurité et les Britanniques promettent qu'elle servira à la construction d'un État démocratique. Mais, rapidement, les populations chiites et sunnites de la région entrent en résistance. Les forces d'occupation renoncent alors à exercer une souveraineté complète et mettent en place un gouvernement autochtone. C'est sans compter sur la détermination de la rébellion. Le nouveau pouvoir ne se maintient que grâce à l'appui des forces d'occupation, notamment grâce à leur usage répété de bombardements aériens contre les communautés récalcitrantes.
      Printemps 2003 ? Non. C'était la campagne militaire qui commença à l'automne… 1914. Quant au contrôle de l'administration britannique sur la région, il ne prendra véritablement fin que lors du renversement de la monarchie iraquienne en 1958. Un certain Saddam Hussein arrivera au pouvoir quelques années plus tard à la suite d'un autre coup d'État.
      En rappelant ces événements en ouverture de son livre qui prône une intervention accrue des historiens au sein de la cité, John Tosh ne veut nullement sous-entendre que l'enlisement actuel des forces anglo-américaines en Irak était inéluctable : l'histoire de cette région n'est pas condamnée à se répéter. Mais Tosh veut souligner à quel point le rappel de cette histoire, à partir de 2002, lorsque les débats sur l'opportunité d'une intervention faisaient rage, aurait certainement permis d'apporter un éclairage utile sur la perspicacité des va-t-en-guerre et sur les risques de l'entreprise. Malheureusement, à l'époque, autant les historiens que la presse restèrent quasi-silencieux sur cette histoire. Attitude qui paraissait à ce point normale que, juste après l'invasion, un Tony Blair n'hésita pas à affirmer que la connaissance du passé est inutile en politique.
      C'est contre cet « oubli » de l'histoire que se mobilise Tosh. Il est tout à fait conscient des abus possibles de la connaissance historique. Combien de fois n'a-t-elle pas servi à des fins nationalistes et impérialistes ? C'est bien pour cela que désormais les historiens professionnels, par probité intellectuelle, se tiennent souvent à l'écart des débats politiques. Mais, en des pages informées sur les multiples pratiques de l'histoire, nourries d'exemples précis, et avec une grande clarté, Tosh opère une réhabilitation très intéressante de l'usage de la connaissance historique dans les débats publics. Non pas parce qu'elle permettrait de fournir des solutions toutes faites à des problèmes actuels, mais parce que, en montrant ce qui nous rattache et ce qui nous sépare du passé, elle évite les visions étriquées de ceux qui restent enfermés dans le présent et rend possibles des débats constructifs.
      Est-ce qu'un tel appel sera entendu par les historiens professionnels ? Ce n'est pas sûr. Ce livre n'en reste pas moins une très bonne analyse des usages passés, actuels et possibles de la connaissance historique.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 197, octobre 2008.

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