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Compte rendu du livre :

Deceit and Self-Deception.
Fooling Yourself the Better to Fool Others,

de Robert Trivers,

Allen Lane, 2011.

trivers-deceit

       Mentir peut être utile. Dans le règne animal, la tromperie est d'ailleurs partout. La lotte attire ses proies grâce à un appendice en forme d'appât qui pend au bout de ses mâchoires ; des papillons comestibles dissuadent les prédateurs en adoptant les couleurs d'espèces vénéneuses ; certains coucous s'épargnent la lourde tache de veiller sur leur progéniture en pondant subrepticement leurs œufs dans les nids d'autres oiseaux ; etc. La « course aux armements » que se livrent ainsi les animaux pour se tromper les uns les autres ou pour ne pas se faire avoir expliquerait une partie de leur complexité.
       Le biologiste Robert Trivers, qui a joué un rôle important dans l'émergence de la sociobiologie dans les années 1970, avance dans ce livre qu'il en serait de même pour la psychologie humaine. Nous serions des menteurs invétérés. Notre gros cerveau ferait de nous des maîtres de la dissimulation, du mensonge et de la fourberie. Enfant, avant même de savoir parler, en pleurant, nous apprenons déjà à manipuler ceux qui s'occupent de nous. Adulte, nous nous attribuons davantage de qualités que nous en avons en réalité. De même, nous racontons les histoires qui nous arrangent et nous prenons peu en compte ce qui pourrait les contredire. Comme dans le règne animal, cette propension au mensonge aurait une utilité. Elle nous permettrait de paraître plus importants et de mieux séduire. Du coup, estime Trivers, il est logique que cette tendance ait été sélectionnée.
       Mais bien mentir n'est pas facile. Il faut par exemple inventer une histoire fausse ; elle doit être plausible ; elle ne doit pas contredire ce que les autres savent ; il faut s'en souvenir. Cela demande un effort certain et un grand contrôle de soi. On risque d'être nerveux, agité et de transpirer. Rien de tel pour se faire repérer. Or pour que le mensonge soit utile, il ne faut pas qu'il soit détecté. Pour éviter de se faire repérer, il y aurait toutefois une astuce : se mentir à soi-même ! En effet, plus on croit à ses propres mensonges, moins ils ont de chance d'être pris pour tels, et plus on pourra en tirer profit. Ce qui conduit Trivers à sa thèse principale : notre évolution biologique aurait favorisé une tendance à se mentir à soi-même pour mieux mentir aux autres.
       Cette thèse est-elle crédible ? Difficile à dire. L'ouvrage est confus. Trivers saute un peu du coq-à-l'âne et ne va pas jusqu'au bout de ses raisonnements. Il développe des commentaires inutilement longs sur les effets de l'hypocrisie en politique et passe trop de temps à évoquer les moments de sa vie où il s'est menti à lui-même. Bref, ce n'est pas un livre d'une très bonne facture. Cela dit, il a le mérite de nous inciter à nous demander si nous n'avons pas systématiquement tendance à nous mentir à nous-mêmes. Si c'était le cas, cette conclusion aurait bien sûr une incidence sur notre façon de nous percevoir en tant qu'individu. Mais elle pourrait également nous conduire à nous interroger sur notre vision du monde. En effet, si nous nous mentons à nous-mêmes sur les raisons qui nous poussent à préférer ou à rejeter telle théorie plutôt que telle autre, la pertinence de nos choix théoriques se pose. Ironiquement, cette interrogation pourrait aussi s'appliquer à la thèse de Trivers elle-même. Quelles sont les vraies raisons, au-delà de celles que nous pourrions invoquer, qui nous poussent à la trouver ou non convaincante ? À défaut de répondre à cette question, on saura gré à Trivers d'avoir passé en revue nombre d'arguments en faveur d'une thèse troublante et captivante.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 241, octobre 2012.

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Autres livres à signaler :

— Ian Leslie, Born Liars. Why We Can't Live Without Deceit, Quercus, 2011.

— Neel Burton, Hide and Seek. The Psychology of Self-Deception, Acheron Press, 2012.