Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Reliability in Cognitive Neuroscience.
A Meta-Meta-Analysis
,

de William R. Uttal

The MIT Press, 2013.
uttal-reliability-in-cognitive-neuroscience

      Les neurosciences ont le vent en poupe. Grâce à l’extraordinaire développement des techniques d’imagerie cérébrale de ces dernières décennies, il serait enfin possible de visualiser les sièges des processus cognitifs (réfléchir, calculer, mémoriser, etc.). Qui n’a d’ailleurs pas vu ces représentations du cerveau où figurent un certain nombre de taches de couleurs, avec pour légendes « zone du langage », « zone de l’attention », « zone de l’abstraction », etc. ? Mais toutes ces prétentions à visualiser les lieux de la pensée sont-elles fondées ? Pas pour William Uttal. Ce critique de longue date des neurosciences, auteur de nombreux livres sur le sujet, estime que les techniques d’imagerie cérébrale, qui ne mettent en avant que des phénomènes macroscopiques, ne révèlent en rien les processus cognitifs.
      Il faut bien comprendre que les tentatives de visualiser la pensée reposent sur deux grands postulats : la modularité et la localisation. Le premier stipule que les processus cognitifs peuvent être décomposés en différents éléments distincts (ou modules) ; le second, que chaque processus, ou module, relève d’une zone particulière du cerveau. Concernant le premier postulat, Uttal estime que les différentes fonctions cognitives sont bien trop entremêlées pour que l’on puisse les distinguer. Dans la plupart des activités mentales, il serait ainsi arbitraire de distinguer ce qui relève de l’imagination, de l’attention, de la représentation spatiale, du langage, etc. Quant au postulat de la localisation, il se heurte à de nombreuses expériences montrant, quand on abaisse le seuil de détection, qu’une grande partie du cerveau est active pour presque n’importe quel processus cognitif. Il n’y aurait donc, selon Uttal, pas de sens à affirmer qu’un processus cognitif trouve sa source dans une région spécifique. Or, si ces deux postulats sont faux, les espoirs de visualisation de la pensée sont infondés.
      Bien sûr, les neuroscientifiques tentent de répondre à ces critiques. Ils prétendent qu’en recoupant entre elles plusieurs expériences d’imagerie cérébrale — à travers ce qu’ils appellent des méta-analyses — il est possible de faire converger des indications disparates. Ce qui prouverait qu’il existe, par exemple, une capacité d’abstraction, bien distincte des autres, et relevant plus de telle région que de telle autre. C’est à cette affirmation que s’attaque ce nouveau livre de l’auteur (d’où le sous-titre de l’ouvrage). Sa conclusion rejoint ses précédentes mises en cause. Non seulement il existe une grande variabilité des zones d’activité chez un même individu en fonction du moment où l’expérience d’imagerie est effectuée, non seulement cette variabilité est encore plus grande d’un sujet à un autre, mais plus on rassemble d’études, en faisant bien attention d’éviter les erreurs d’interprétations et les biais d’observations, plus la variabilité augmente. Du coup, pour l’auteur, la question « où se situent les processus cognitifs ? » n’est définitivement pas une bonne question. À la place, il faudrait plutôt se demander comment le cerveau fonctionne à un niveau global et quelles sont les bonnes échelles d’activité à prendre en compte.
      Vu l’importance des investissements intellectuels (et financiers) dans les projets de visualisation de la pensée, ce genre de critique ne devrait pas rester sans réponse. Seront-elles à la hauteur du défi que leur lance Uttal ? Peut-être. Peut-être pas. Dans tous les cas, les chercheurs en neurosciences ne seraient pas très avisés de l’ignorer.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 249, juin 2013.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr

Autre livre à signaler :

Nikolas Rose et Joelle M. Abi-Rached, Neuro. The New Brain Sciences and the Management of the Mind, Princeton University Press, 2013.