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Compte rendu du livre :

La Nouvelle science du politique.
Une introduction,

d'Eric Voegelin,

Traduit de l'anglais par Sylvie Courtine-Denamy,
Seuil (L'ordre philosophique), 2000.

      La question du sens peut se poser aussi bien pour la politique que pour la vie elle-même. D'ailleurs dans l'antiquité, où existait une véritable religion civique et où les Dieux avaient le pouvoir d'agir directement en faveur d'une cité, les deux questions pouvaient n'en faire qu'une. Mais l'opposition établie par Saint Augustin entre la cité de Dieu et la cité terrestre fit qu'il n'y eut plus grand chose à espérer ici-bas. Cette dé-divinisation du pouvoir temporel laissait l'Église seule maîtresse du destin spirituel des hommes. Une telle résignation ne fut toutefois pas définitive. La société allait en effet se voir réinvestie par des attentes eschatologiques, notamment avec Joachim de Flore au XIIe siècle. Ce dernier prophétisait tout simplement qu'après le règne du Père et celui du Fils devait advenir le règne du Saint-Esprit qui correspondrait à un âge de plénitude spirituelle.
      Histoires dépassées que tout cela, direz-vous. Ce n'est pas sûr. Eric Voegelin soutient même dans ce livre écrit en 1952 que l'eschatologie trinitaire de Joachim de Flore « préside à l'auto-interprétation de la société politique moderne jusqu'à nos jours ». Elle se retrouverait, entre autres, dans le découpage courant de l'histoire en trois périodes (antiquité, moyen âge, temps modernes), dans la théorie des trois phases de l'histoire de l'humanité d'Auguste Comte, dans les dialectiques hégélienne et marxiste, dans l'idéologie du Troisième Reich national-socialiste, voire dans l'idéologie des Lumières. À chaque fois est annoncée l'idée que l'humanité va arriver (ou est déjà arrivée) à un stade où, étant pleinement consciente d'elle-même, elle peut atteindre un état de plénitude. Autant de doctrines qui confèrent à l'homme et à son action dans le monde la signification d'un accomplissement eschatologique. Ce qui montre que l'abandon d'une certaine forme de transcendance s'accompagna, en quelque sorte, d'une divinisation de l'histoire, voire de l'homme.
      Or, pour Voegelin, qui étudie sur le long terme la manière dont les hommes ont pensé leurs rapports à la politique, il ne saurait être question de poursuivre ces chimères millénaristes. Soit. Mais autant certaines de ses analyses sont intéressantes sur le plan de l'histoire des idées politiques, autant son projet de fonder une nouvelle science du politique paraît bien vague.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 108, août-septembre 2000.

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