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Compte rendu du livre :

Memory.
Fragments of a Modern History,

de Alison Winter,

The University of Chicago Press, 2012.

Winter-Memory

      En 1906, interrogé par la police, un certain Richard Ivens avoue être l’auteur d’un meurtre. Pourtant, lors de son procès très médiatique, il reviendra sur ses déclarations et niera être l’assassin en question. Appelé à la barre pour démêler l’affaire, un psychologue de l’Université d’Harvard, Hugo Münsterberg en arrive à la conclusion qu’Ivens a cru sincèrement lors de l’interrogatoire, mais à tort, avoir commis ce meurtre ; ce n’est qu’après qu’il se serait rendu compte avoir été trompé par sa mémoire. Malheureusement, l’expert n’arrive pas à convaincre le jury. Ivens est donc condamné pour meurtre et exécuté trois mois plus tard. Cet échec persuade Münsterberg de la nécessité de poursuivre avec plus d’ardeur ses recherches sur le caractère parfois trompeur de la mémoire et de les faire reconnaître par les tribunaux. Le déclenchement de cette bataille juridique et scientifique à propos de la fiabilité des souvenirs sert de point de départ à cette fascinante histoire culturelle de la mémoire, du début du XXe siècle à nos jours.
      À l’image des souvenirs nécessairement fragmentaires, ce livre d’Alison Winter analyse ainsi plusieurs débats théoriques sur la mémoire qui furent aussi des débats de société. Outre certaines batailles juridico-scientifiques comme celle mentionnée ci-dessus, Winter raconte les problèmes posés par la prise en charge de militaires traumatisés par leurs expériences de guerre ; elle évoque la peur de la manipulation de la mémoire par des lavages de cerveau lors de la Guerre froide ; elle décrit des opérations chirurgicales qui semblaient révéler des souvenirs physiquement inscrits dans le réseau neuronal du cerveau ; elle analyse des expériences psychologiques suggérant que les souvenirs sont des fabulations concoctés afin de donner du sens à des expériences présentes ; elle rappelle l’intérêt suscité par l’hypnose comme un moyen de ramener à la surface des souvenirs lointains, allant parfois jusqu’à ceux d’une supposée vie antérieure ; et, enfin, elle relate la « guerre de la mémoire » de la fin du XXe siècle ayant opposé ceux qui cherchaient à faire revenir à la surface des souvenirs bien enfouis d’abus sexuels datant de la petite enfance et ceux qui tentaient de limiter les dégâts causés par ce qui s’est révélé être, plus d’une fois, de faux souvenirs d’abus.
      À travers tous ces fragments d’histoire, Winter rend compte des difficultés rencontrées par les scientifiques pour s’entendre sur une conception de la mémoire. Elle souligne également que des média — surtout la photographie et le cinéma — ont constamment fourni des métaphores à ceux qui essayaient de saisir l’énigmatique fonctionnement de la mémoire. Enfin, elle met bien en évidence l’alternance entre une conception qui fait des souvenirs l’enregistrement fidèle et stable d’expériences vécues et une conception qui n’y voit au contraire que des reconstructions fragiles, transitoires et manipulables.
      De façon très intéressante, elle conclut son essai en montrant comment ces tribulations de la mémoire se sont accompagnées depuis le début du XXe siècle de la croyance que notre identité se définit par nos souvenirs, au sens où perdre la mémoire reviendrait à ne plus savoir qui l’ont est. On comprend alors le problème que pose l’actuel développement de médicaments permettant d’effacer certains souvenirs traumatiques. Winter n’a pas de mal à suggérer qu’avec ces traitements le sens même de notre identité risque d’être bousculé. Qui serais-je sans une partie de mes souvenirs ?

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 245, février 2013.

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Autres livres à signaler :

— Charles Fernyhough, Pieces of Light. How the New Science of Memory Illuminates the Stories We Tell About Our Pasts, Profile Books, 2012.

— Rodrigo Quian Quiroga, Borges and Memory. Encounters With the Human Brain, The MIT Press, 2012.