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Compte rendu du livre :

Catching Fire.
How cooking made us human
,

de Richard Wrangham,

Profile Books, 2010.

      Qu'est-ce qui fait de nous des humains ? Pourquoi ne sommes-nous pas restés dans la forêt avec nos cousins les grands singes ? Mille réponses à ces questions ont déjà été avancées. Aucune vraiment convaincante. Une des hypothèses soutenues depuis les années 1950 associe l'hominisation au passage d'un régime principalement végétarien, comme l'est encore celui des grands singes, à un régime principalement carné. L'homme serait ainsi un singe chasseur, voire charognard. Mais cette hypothèse présuppose ce qu'il faut expliquer, à savoir la transformation physiologique et sociale qui aurait permis à des groupes de primates de se transformer en bandes de chasseurs ou de prédateurs. Pire, elle rend incompréhensible que l'hominisation se soit accompagnée d'une réduction de la taille des mâchoires et des dents, puisque cette tendance anatomique ne signe en rien une adaptation croissante à un régime carné. So, what made us human ?
      Dans cet essai original, Richard Wrangham, professeur d'anthropologie à l'Université d'Harvard, tente de montrer que c'est la cuisson des aliments qui est la principale cause de la divergence entre les êtres humains et les grands singes. Claude Lévi-Strauss avait bien, lui aussi, considéré que l'opposition entre le cru et le cuit caractérisait celle du monde de la nature et du monde de la culture, mais il ne lui avait attribué qu'une dimension symbolique : les hommes cuiraient leur nourriture pour bien montrer qu'ils ne sont pas des bêtes. Wrangham, quant à lui, analyse comment l'usage du feu pour cuire les aliments pourrait être responsable des transformations physiologiques et sociales qui font de nous des humains.
      Son argumentation part d'une donnée toute simple : la cuisson ramollit les aliments et augmente leur valeur nutritive. De multiples conséquences en découlent. Une nourriture cuite, comparée à une alimentation crue, ne demande pas une forte mâchoire et de grandes dents. Elle peut être assimilée par des intestins plus courts, comme en ont les humains comparés aux grands singes. Elle apporte davantage d'énergie à l'organisme, et ce surplus peut être utilisé par ce grand consommateur d'énergie qu'est le cerveau pour se développer. Elle demande également une moindre durée de mastication et libère du temps pour d'autres activités. Il aurait donc suffi, pour que le processus d'hominisation se mette en marche, que nos ancêtres découvrent de la nourriture accidentellement tombée dans un feu et que, sensible à cette aubaine (les primates préfèrent une nourriture cuite à une nourriture crue), ils aient cherché à se réalimenter de la sorte.
      Wrangham va même jusqu'à penser que la division sexuelle du travail est due à la cuisson. Là encore, il déploie toute une série d'arguments étayés de données anthropologiques et éthologiques. Les primates mangent leur nourriture à l'endroit où ils la trouvent, chacun pour soi. Une fois la cuisson découverte, les premiers humains devaient quant à eux la ramener au camp pour la cuisiner. Elle pouvait alors être échangée, donnée ou volée. Ce qui appelait une organisation du travail, et un système d'alliance. De là serait né le « contrat » entre l'homme et la femme : le premier aurait ramené le gibier et protégé la seconde, qui en contrepartie aurait préparé le repas.
      Cette thèse est bien sûr spéculative et sur certains points critiquable. Mais l'ouvrage étant à la fois consistant en termes de recherche et très agréable à lire, on ne peut que recommander sa consommation… sans craindre d'indigestion.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 221, décembre 2010.

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