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Compte rendu du livre :

Le Temps moderne.
Variations sur les Anciens et les contemporains,

de Levent Yilmaz,

Gallimard (nrf essais), 2004.

      Les « Temps modernes » ont commencé, dit-on, entre le XVIe et le XVIIIe siècles. Soit. Mais que veut dire entrer dans les temps modernes ? Qu'est-ce qui différencie un homme d'avant les temps modernes d'un homme qui en fait partie ? Pour être bref, une des mutations les plus fondamentales est certainement l'attitude face au temps. L'homme moderne ne reconnaît plus l'autorité de la tradition et l'histoire cesse de lui apparaître comme un réservoir d'expériences humaines où il pourrait puiser des leçons ; à la place, il croit possible l'innovation et voit l'histoire comme un processus conduisant à des expériences inédites, susceptibles de faire place à des événements sans précédents. L'idée d'un futur déjà construit a disparu au profit de celle d'un futur à construire.
      Un des moments forts de cette révolution anthropologique qu'est l'émergence du « temps moderne » est la Querelle des Anciens et des Modernes qui explose en janvier 1687 lorsque Charles Perrault déclare publiquement : « Je vois les Anciens sans plier les genoux / Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous. » La supériorité du passé et la vénération de la tradition sont ainsi clairement contestées. C'est cette fameuse Querelle que Levent Yilmaz a prise dans ce livre comme symbole du grand basculement des sociétés occidentales dans le temps moderne. Mais, plutôt que d'y voir un premier basculement vers la modernité, et de souligner ce que la « victoire » des Modernes annonce ou préfigure, son propos est de remonter en amont et d'établir une chronologie longue pour souligner combien elle advient au terme d'un processus séculaire commençant avec Dante et Pétrarque. Le livre ne relève toutefois pas de l'essai où serait déployée une démonstration. C'est plutôt une série d'analyses où est dépeinte, par petites touches, cette mutation du rapport au temps chez les Modernes ; mutation dont nous ne sommes pas sortis. C'est donc une sorte de méditation érudite sur notre sens de la temporalité.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 159, avril 2005.

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