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Compte rendu du livre :

Le Dieu de la République.
Aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900),

de Patrick Cabanel,

Presses Universitaires de Rennes (Carnot), 2003.

      S'il est courant de lire que la République est une sorte de religion, au sens où certains adoptent les valeurs républicaines un peu comme s'ils entraient en religion, il est toutefois plus rare de nos jours d'entendre dire que la laïcité incarne des idéaux explicitement religieux. Cela pourrait même paraître provocateur depuis qu'il est question d'établir une loi pour défendre la laïcité contre l'intrusion de symboles religieux dans un de ses sanctuaires : l'école républicaine. Cette dénégation d'un lien entre la religion et la République remonte bien sûr à la Révolution française censée incarner une rupture absolue avec le passé et, en particulier, avec le passé religieux. Tout n'est pourtant pas si simple. L'historien américain Dale K. Van Kley (Les Origines religieuses de la Révolution française, Seuil, 2002) ne rappelait-il pas récemment tout ce que la Révolution devait au jansénisme, cette sorte de catholicisme réformé ?
      Tout aussi stimulant est le dernier livre de Patrick Cabanel qui dissèque les liens étroits qui ont pu exister entre la IIIe République et le protestantisme. Pas question bien sûr de dire que la République est une création des protestants, ni d'ailleurs la laïcité. Mais Cabanel tente néanmoins de répondre à la question suivante : « le plus “républicain” des christianismes a-t-il “protestantisé” la République ? » Et la réponse est en partie affirmative. Après les réformes des années 1880 émerge une « république puritaine, toute de pédagogie, de morale, de sacrifice, de devoir, de religiosité, d'intériorité ». Or, associé aux Littré, Gambetta et Ferry dans la mise en place de cette République, se trouve tout un réseau d'hommes et de femmes d'origine protestante et œuvrant au nom d'un protestantisme libéral. Cabanel en étudie avec minutie tous les liens : il part de la figure de l'historien Edgar Quinet, scrute le rôle du pédagogue Ferdinand Buisson, analyse l'influence du philosophe Charles Renouvier, etc. Il montre comment, gravitant autour de revues et d'institutions, éducatives surtout, tous ces hommes et femmes furent les fers de lance de la laïcité qu'ils cherchaient à établir comme une sorte de religion civile.
      En montrant également comment, à la toute fin du siècle, se développa en réaction une laïcité autant anti-protestante qu'anti-catholique, Cabanel nous offre une tonifiante enquête historique qui souligne combien opposer la laïcité à la religion est parfois un peu simpliste…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 146, février 2004.

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