L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Taking Life.
Three Theories on the Ethics of Killing,
de Torbjörn Tännsjö,
Oxford University Press, 2015.

En septembre 2012, Jacqueline Sauvage abat de trois coups de fusil son mari qui la battait depuis des années. En décembre 2015, elle est condamnée à 10 ans de prison pour ce meurtre. Le verdict suscite de nombreuses réactions d’incompréhension. Des associations de défense des victimes de violences conjugales se mobilisent en faveur de la condamnée. Face à cet émoi d’une partie de l’opinion, François Hollande, en tant que Président de la République, lui accorde une grâce partielle en janvier 2016. Derrière ce fait divers, se pose la question de savoir si, dans certaines circonstances, il peut être moralement légitime de commettre un meurtre. Sans aborder « l’affaire Jacqueline Sauvage », mais en discutant de cas très similaires, cet ouvrage tente d’y répondre en comparant les trois grandes approches de l’éthique : le déontologisme, la théorie des droits et l’utilitarisme.

Selon la première approche, tuer une personne est toujours inacceptable, sauf en cas de légitime défense. Ne pas tuer est donc un devoir. Selon la deuxième approche, toute personne a le droit de vivre. Tant qu’elle y tient, il n’est pas moralement légitime de la priver de sa vie. En revanche, vous pouvez l’euthanasier à sa demande. Ce qui n’est pas acceptable dans la première approche. Enfin, selon la troisième approche, la moralité d’une mise à mort s’évaluera en fonction de ses conséquences. Comme le mari de Jacqueline Sauvage ne menaçait pas directement la vie de sa femme et qu’il tenait à la sienne, seule cette troisième approche permet de ne pas la condamner moralement. Un monde sans son mari violent et tyrannique n’est-il pas meilleur qu’un monde où il sévit ? Toutefois, les adversaires de l’utilitarisme objectent que cette position fait courir le risque, entre autres, de laisser à chacun le choix de se faire justice lui-même. Pas forcément, répondent les utilitaristes : on peut légiférer contre le meurtre pour le bon fonctionnement de la société, sans toujours le condamner moralement. Mais cette distinction entre le moral et le légal implique qu’il pourrait être justifié de mettre en prison une personne sans qu’elle ait commis d’acte moralement répréhensible.

Ce genre d’imbroglio se retrouve dans d’autres situations, comme le montre l’auteur à propos successivement de la peine de mort, du suicide, de l’euthanasie, de l’avortement, de la guerre ou de la mise à mort des animaux. Par exemple, si on est tenté par l’utilitarisme pour disculper Jacqueline Sauvage, on ne peut plus s’opposer par principe à la peine de mort : s’il était possible de montrer que les exécutions capitales jouent un rôle dissuasif, il faudrait alors la défendre. De même, l’utilitarisme ne peut trancher catégoriquement à propos du suicide. Il y a en effet des cas où la fin des souffrances psychologiques du suicidé ne compense pas les dégâts causés dans son entourage par son acte. Un suicide peut donc être moralement répréhensible. Si on considère au contraire que tout le monde a le droit de disposer de sa propre vie, on doit alors rejeter l’approche utilitariste. Mais ce rejet soulève d’autres problèmes. Par exemple, il n’est plus moralement justifié de tuer un innocent pour en sauver plusieurs autres. Pourtant, n’est-ce pas ce que l’on a parfois intérêt à faire en temps de guerre ? Bref, même si l’utilitarisme a les faveurs de l’auteur, le mérite de son livre est de montrer que chaque approche a ses défauts et qualités. Autrement dit, il n’y a pas de position éthique parfaite.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 282, juin 2016.


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Autre livre à signaler :

— Tatjana Visak & Robert Garner (eds), The Ethics of Killing Animals, Oxford University Press, 2016.